Uber veut faire rouler des taxis autonomes à Munich et à Londres dès 2026. Pas des démonstrations de salon: des essais de niveau 4 dans des zones précises, avec l’objectif de retirer, à terme, le conducteur de sécurité. C’est une bascule pour l’Europe, longtemps cantonnée aux pilotes techniques pendant que Waymo multipliait les courses à Phoenix et San Francisco et que Baidu ouvrait des services à Pékin et Wuhan.
Deux partenaires, deux approches. À Munich, Uber s’allie au chinois Momenta, un spécialiste des systèmes de conduite autonome déjà intégré à des centaines de milliers de véhicules via ses fonctions d’aide à la conduite. À Londres, la plateforme mise sur Wayve, pépite britannique de l’IA de conduite de bout en bout, soutenue par de gros investisseurs technologiques. Si ces tests tiennent la route — et passent le filtre des régulateurs — l’Europe pourrait enfin entrer dans le dur du robotaxi.
Munich, d’abord. La ville est un aimant pour l’ingénierie auto: grands constructeurs dans la région, un écosystème de recherche solide, des autorités qui savent gérer des projets complexes. L’Allemagne a surtout un cadre légal unique sur le continent depuis 2021, qui permet des opérations de niveau 4 sur des trajets définis, avec homologation par l’autorité fédérale (KBA) et exigences claires en matière de supervision et de cybersécurité. Traduction: on peut passer de l’expérimentation au service encadré sans réécrire la loi.
Momenta n’arrive pas les mains vides. Basée à Shanghai, la société teste des véhicules autonomes depuis 2018 et a levé des fonds auprès d’acteurs lourds de l’auto comme SAIC, Toyota, Mercedes-Benz, Bosch ou GM. Aujourd’hui, ses logiciels d’aide à la conduite équipent déjà plus de 400 000 véhicules de série. Sa stratégie technique est pragmatique: réduire la dépendance aux cartes HD ultra lourdes, miser sur une perception robuste (caméras, lidars, radars) et mettre à jour le logiciel en continu. Autrement dit, une pile technologique pensée pour l’échelle industrielle, pas seulement pour les démonstrateurs.
Pourquoi 2026? Parce que c’est réaliste. Il faut du temps pour définir les zones d’exploitation (ODD), homologuer les capteurs et calculateurs, recruter et former les opérateurs de sécurité, négocier avec les villes, calibrer les procédures en cas d’imprévu (travaux, météo, urgences). Et Uber doit intégrer tout ça à son app: estimation fiable des temps d’arrivée, options claires pour l’usager, tarification qui ne casse ni le service ni le marché.
Londres, ensuite. C’est le plus grand marché européen d’Uber où un cadre national vient d’accélérer. Le Royaume-Uni a adopté en 2024 l’Automated Vehicles Act, qui ouvre la voie à des services commerciaux encadrés dès le milieu de la décennie. Le ministère des Transports a donné le ton: feux verts plus rapides, mais avec des obligations strictes d’assurance, d’enquête en cas d’incident et de transparence des performances.
Wayve coche les cases londoniennes. La société s’est fait connaître par son approche « end-to-end »: au lieu d’empiler des blocs logiciels séparés, un modèle d’IA apprend directement à conduire à partir de données réelles et simulées. Elle teste depuis des années dans la circulation londonienne, avec opérateur à bord. Et elle dispose désormais de moyens: une levée record menée par de grands noms de la tech pour accélérer la R&D, l’infrastructure de calcul et la production de logiciels adaptés à plusieurs villes et conditions de conduite.
Uber, de son côté, a changé de méthode. Après avoir vendu son unité interne de conduite autonome à Aurora en 2020, la plateforme a privilégié les partenariats. Aux États-Unis, elle a ajouté les robotaxis Waymo à Phoenix sur son app, et testé des livraisons autonomes avec d’autres partenaires. L’Europe est la prochaine étape: pas de flotte maison, mais l’intégration de véhicules de partenaires, avec un modèle simple — proposer un trajet autonome à côté des trajets conduits par des chauffeurs humains, et laisser l’utilisateur choisir.
Concrètement, à quoi s’attendre dans les phases pilotes?
L’Europe a pris du retard. Waymo roule sans conducteur dans plusieurs villes américaines, la Chine a ouvert des zones commerciales à Pékin, Shanghai et Wuhan, tandis qu’en Europe, on a surtout vu des navettes lentes sur sites fermés ou des tests limités. Les annonces d’Uber, de Momenta et de Wayve signalent une bascule: des pilotes urbains ambitieux, adossés à un usage réel via une app grand public.
La concurrence s’organise. Baidu a indiqué vouloir tester Apollo Go en Suisse. WeRide a lancé un pilote helvétique début 2025 et teste une navette sans conducteur en France. Des acteurs locaux montent aussi: Oxa (ex-Oxbotica) au Royaume-Uni, des laboratoires universitaires en Allemagne et aux Pays-Bas, et des partenariats industriels autour des aides à la conduite de niveau 2+ et 3 (Mercedes Drive Pilot est d’ailleurs homologué en niveau 3 sur autoroute en Allemagne et dans d’autres marchés). Résultat: le terrain européen, longtemps discret, devient stratégique.
Reste la question qui fâche: la sécurité. Les régulateurs exigeront des données solides, et pas seulement des promesses. Les règles onusiennes R155 et R156 imposent des garde-fous sur la cybersécurité et les mises à jour logicielles. L’Allemagne et le Royaume-Uni imposent des rapports d’incidents détaillés et des assurances adaptées. Au lancement, les zones d’opération seront définies finement pour limiter les cas extrêmes (pluie battante, brouillard dense, ruelles très étroites). Chaque incident devra être analysé, documenté, et intégré au logiciel lors des mises à jour.
Le dossier « données » sera tout aussi sensible. Avec un partenaire chinois en Allemagne, les autorités regarderont de près la gouvernance des données, l’anonymisation, la localisation des serveurs et la sécurité des chaînes d’approvisionnement. Le RGPD n’est pas négociable: collecte minimale, finalité claire, droit à l’explication s’agissant des décisions automatisées. Côté véhicules, les constructeurs et intégrateurs devront prouver que les flux sont chiffrés, que l’accès distant est sécurisé et que les mises à jour ne fragilisent pas la sûreté de fonctionnement.
Techniquement, l’Europe est un test difficile. Les villes sont denses, pleines d’usages mixtes: trottoirs étroits, cyclistes nombreux, zones 30, livraisons en double file. Londres ajoute la conduite à gauche et une signalisation parfois déroutante. Munich apporte son lot d’intersections complexes et de météo capricieuse. Les modèles d’IA devront apprendre des comportements locaux (un piéton qui regarde à droite à Londres n’envoie pas le même signal qu’à Munich) et s’adapter vite via des mises à jour fréquentes.
Il faudra aussi tenir le rythme industriel. Les robotaxis seront électriques, donc dépendants d’un maillage de charge fiable, idéalement dans des dépôts où l’on peut nettoyer, inspecter et calibrer les capteurs. Les capteurs doivent rester impeccables (pluie, saletés, neige), sous peine de dégrader la perception. La maintenance passe d’un garage classique à une base technique équipée pour l’optique, les radars et les calculs embarqués.
Impact sur l’emploi? Il ne sera pas immédiat, et il ne sera pas uniforme. Au départ, chaque véhicule autonome embarquera des équipes d’opération, puis un centre de supervision. De nouveaux métiers apparaissent: opérateurs de flotte, techniciens capteurs, spécialistes des données, analyse d’incidents, qualité logicielle. Uber insistera sur un message: les chauffeurs restent au cœur de l’offre, le robotaxi complète l’existant et prend les trajets répétitifs ou nocturnes. Les syndicats demanderont des garanties précises sur la transition et la formation. Le Royaume-Uni, où Uber a dû reconnaître des droits sociaux à ses chauffeurs, sera un test politique autant que technologique.
La question du prix sera décisive. Si la course autonome coûte plus cher qu’une course classique, l’adoption restera marginale. Si elle est moins chère, elle peut déstabiliser vite le marché du VTC. L’équation est complexe: capteurs coûteux, assurance spécifique, équipes d’opération au début… mais pas de salaires chauffeurs à long terme. Beaucoup dépendra de la vitesse à laquelle les flottes passeront d’un mode « assisté » à un mode « réellement sans conducteur », et de l’échelle atteinte dans chaque ville.
Les villes, elles, regarderont l’intégration avec le transport public. Un robotaxi peut désengorger des axes la nuit, desservir des zones mal couvertes en heures creuses, ou connecter une gare et un hôpital sans ajouter de lignes de bus. À condition de partager des données d’usage, d’éviter la congestion autour des hubs, et de respecter des contraintes strictes de stationnement et de prise en charge. Les maires demanderont des preuves: baisse du temps d’attente, réduction des émissions, sécurité piétonne inchangée ou améliorée.
Qui gagne quoi dans ce jeu? Uber gagne du temps et de l’échelle en s’appuyant sur des spécialistes. Momenta gagne un terrain européen vitrine, qui peut accélérer ses ventes de logiciels au-delà de la Chine. Wayve gagne un cas d’usage massif dans sa ville fétiche, avec des données riches pour affiner ses modèles. Et l’Europe gagne une chance de tester, à taille réelle, si un service autonome peut tenir ses promesses hors des PowerPoints.
Les risques restent bien là. Un incident médiatisé peut tout retarder. Les délais réglementaires peuvent s’allonger si les homologations prennent du temps. Les coûts peuvent déraper si la maintenance capteurs explose en hiver. Et la concurrence peut s’inviter: si un acteur européen ou asiatique décroche plus vite une autorisation dans une autre capitale, l’attention — et les équipes — se déplaceront.
À quoi ressemble la réussite d’ici 2027? Quelques corridors bien maîtrisés (aéroport-centre-ville, centres d’affaires, grands hôpitaux), des courses 24/7 dans des zones stables, des tarifs alignés sur le marché, des rapports de sécurité trimestriels publics, des partenariats avec les collectivités pour desservir des zones peu couvertes. Et surtout, une progression visible: plus de trajets sans opérateur, plus de diversité météo, plus de quartiers autorisés, sans dégrader la sécurité.
À quoi ressemble la prudence? Des pilotes prolongés avec opérateur à bord, des zones limitées, un déploiement très graduel ville par ville, en attendant des capteurs plus robustes et des modèles d’IA plus explicables pour les régulateurs. Les deux scénarios peuvent coexister: un Londres rapide sur certains itinéraires bien balisés, un Munich méthodique mais constant, et d’autres villes qui observent avant d’ouvrir la porte.
2026 arrive vite. Entre homologations, préparation des flottes, négociations locales et intégration dans l’app, le calendrier sera serré. Mais si Uber, Momenta et Wayve tiennent leurs objectifs, l’Europe pourrait voir ses premiers services urbains de niveau 4 ouverts au public, même à petite dose. Ce sera le moment de vérité: non plus « est-ce que ça marche en démo? », mais « est-ce que ça sert vraiment les usagers, les villes et le marché, jour après jour? »
Je m'appelle Marius Fontaine et je suis un expert dans le domaine bancaire. Depuis plusieurs années, je travaille dans l'industrie financière où j'ai acquis une solide expérience. Passionné par l'écriture, j'aime partager mes connaissances et mon expertise en rédigeant des articles sur le monde des affaires et de la finance. Mon objectif est d'aider les entreprises et les particuliers à mieux comprendre les enjeux financiers et à prendre des décisions éclairées. J'espère que mes écrits vous seront utiles et vous permettront de réussir dans vos projets professionnels et personnels.
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